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Photo du rédacteurSecrétaire AVF

A la santé de Jo - 10

Gaspard


J’accompagne maman à l’enterrement de son père, de mon grand-père. Je ne connais pas toute cette famille car maman a choisi de vivre à Paris et à l’étranger. Je marche d’un pas assuré du haut de mon mètre quatre-vingt-dix, mon corps élancé m’assure une démarche fluide. Mes cheveux coupés courts dévoilent un début de calvitie temporale, héritage de mon père, ce bel inconnu célèbre! Ma mère m’a élevé seule, le lot des enfants adultérins. Seuls mes yeux bleus perçants me rattachent à ce grand-père.


Nous sommes devant l’église, je la sens fière d’avoir à son bras son grand fils que tous regardent avec curiosité. Notre tenue, notre allure de citadin détonnent dans cette famille. Ils sont courbés par le travail des champs, vêtus de vêtements surannés, mal apprêtés, les visages ridés par le soleil, le teint terreux (normal !) ou rougeaud (pour certains hommes). On s’avance vers ma grand-mère, car je ne reconnais qu’elle. Elle me toise, jette un regard vers sa fille, esquisse un léger sourire et nous embrasse, sans effusions, avec beaucoup de retenue. Nous nous dirigeons vers son frère Marcel. Sa casquette de marin surprend, il sourit à maman, l’embrasse à peine et me salue d’un : « Bonjour fiston, content de faire ta connaissance. » puis se retournant vers sa sœur: « Tu l’as péché où celui -là, il me fait penser à quelqu’un. Ça y est, j’y suis! Tu joues aussi de l’accordéon? » Vient le tour de l’oncle François, un petit trapu, rougeaud avec sa couperose, les mains déformées par le travail à la ferme avec son père. Peu bavard, il décroche seulement un : «Ça fait une paye qu’on s’est vu!» à maman et me gratifie d’une solide poignée de mains pendant que son visage grimace sous l’emprise de ses tics nerveux. Sa femme près de lui, le regard froid, nous salue et l’entraîne vivement vers un groupe que je ne connais pas encore.


Le curé, arrivé en retard, nous fait signe d’entrer dans l’église, sauf Marcel qui fait demi-tour pour se réfugier au café voisin. Pendant la cérémonie, et après l’éloge convenu du défunt- bon mari, bon père (ce qui fait sourire ma mère)- je scrute les gens et ne me trouve pas de point commun avec eux. La France profonde, dure à la tâche, laborieuse et peu ouverte au monde extérieur.


À la sortie de l’église, nous nous dirigeons vers le cimetière à pieds et je fais part à ma mère de mes pensées .Elle m’a très peu parlé de son enfance et je perçois dans son soupir les difficultés et les chagrins qu’elle a endurés. Le cercueil en bois ordinaire glisse doucement dans la fosse. Les employés rassemblent autour les rares couronnes de fleurs (pas de dépenses inutiles!). S’en suit un long défilé de «sincères condoléances» dont nous abreuvent les quelques gens du voisinage. Puis nous nous rendons à la ferme pour le sempiternel café d’enterrement. Les gens se regroupent par affinité et ma mère croise une femme. Son petit chignon de cheveux blancs et ses fines lunettes me font penser à Dame tartine de mes livres d’enfant. Elle me regarde avec un petit sourire et dit à ma mère: «Votre fils est bien beau, élégant, vous pouvez en être fière». Maman m’entraîne ensuite vers sa sœur Louise avec un grand sourire. Elles tombent dans les bras l’une de l’autre. Des larmes s’échappent de leurs yeux discrètement maquillés, l’étreinte dure quelques instants. «Je te présente mon fils Gaspard!» «Et moi ma fille, Jeanne, embrassez-vous les cousins!» On s’éloigne et à voix basse maman me dit : «Je ne savais pas qu’elle avait eu une fille! Quelle famille! Quand j’étais petite, c’est elle qui s’occupait de moi et me cajolait.»


Je vais me présenter à mon cousin Charles qui travaille à la ferme et je perçois dans ses paroles son contentement de devenir le «sous-chef» depuis le décès du patriarche! À toute chose malheur est bon! Puis, je me dirige vers Élisabeth, brillante avocate, qui ne ressemble à personne de la famille. Il faudra que je demande à maman les clefs de ce mystère. Ma grand-mère est assise, entourée de ses fils. Elle paraît absente, résignée et fatiguée de sa vie de labeur .Elle n’est pas née dans ce milieu rural, son éducation bourgeoise transpire dans sa tenue et sa discrète prestance impose le respect.


Ma mère décide qu’il nous faut rentrer sur Paris, car il commence à se faire tard. Visiblement, elle se sent mal à l’aise au milieu des siens, des non-dit et des secrets d’alcôves, elle se dirige vers sa mère. Celle-ci se lève, lui tend les bras et murmure à son oreille : «Tu reviendras, dis, tu reviendras maintenant?» Maman n’a pas le temps de lui répondre qu’une autre question fuse «Es-tu heureuse? Tu t’en es bien sortie du renvoi de ton père et ton fils semble t’aimer très fort!». Pour une fois l’embrassade est longue et pleine d’émotion. Ma mère, visiblement émue et au bord des larmes murmure « Oui, je reviendrai te voir, sois forte, tout va bien pour moi, j’ai appris à me débrouiller et à décider seule, sans mari autoritaire! »


Nous montons dans sa voiture, maman se mouche fort afin que je ne la voie pas essuyer ses larmes. Pendant tout le trajet je la presse de questions et voilà qu’elle me raconte sa famille pour la première fois : « Éducation rude, travail à la ferme sept jours sur sept, enfant caché, les deux filles qui fuient un père intolérant, deux frères obéissants sans envergure un peu rustres et une mère effacée et soumise à un mari autoritaire, plus attaché à l’affection de ses chiens tous prénommés Rufus. Les repas en famille se déroulaient dans un silence pesant interrompu pas les aspirations bruyantes de la soupe trop chaude. Le père, quelques fois, en profitait pour donner des ordres à ses fils sur le travail à venir. La mère remplissait les assiettes équitablement entre les enfants, mais les meilleurs morceaux revenaient au père. Puis les filles aidaient à débarrasser la table pendant que Joseph allumait sa pipe et les garçons une cigarette avant de repartir au travail. Quand Louise et moi avons eu quelques velléités de liberté, Joseph a été clair : « Ici c’est moi qui décide, pour celle qui conteste mon autorité, la porte est ouverte. Mais il n’y a pas de retour possible ». C’est ainsi que j’ai dû partir lorsque j’étais enceinte de toi, sans être retenue par ma mère, offusquée de l’affront que je faisais subir à la famille. Je suis arrivée à Paris où une place de journaliste au Figaro m’a permis de t’élever correctement. Quant à Louise, elle est partie du jour au lendemain, sans que je sache pourquoi car j’étais petite, et n’a jamais donné de ses nouvelles jusqu'à aujourd'hui. »


Je pose ma main sur sa cuisse en la caressant doucement, lui souris plein de tendresse, d’amour filial et d’admiration. Puis, d’un ton doux, mais ferme, je lui dis: «Je suis là, tu as bien réussi ta vie, tu t’es sortie de ce carcan brillamment, ne regrette rien, cela a fait ta force…Je t’aime tant. En chemin, nous dépassons la voiture de Louise, cette sœur aînée qui lui a adouci son enfance et que je salue d’un geste de la main.


Catherine

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