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Photo du rédacteurSecrétaire AVF

A la santé de Jo - 12

Jeanne

Ma famille maternelle, cette inconnue.


Ma mère, Louise, a voulu que je l'accompagne pour les funérailles de son père, Joseph ou Jo comme il était communément appelé ici. Ma mère a soixante-deux ans, mais comme elle fait jeune !


Dans sa robe violette, elle est d'une élégance ! Seule Juliette peut rivaliser avec sa sœur. Elles ont vécu à la ville. Je le réalise quand je la vois parmi ses proches. Cependant, elle a souhaité que je reste à l'écart, dans un premier temps, afin de préparer sa famille à ma venue. Elle m'a déjà expliqué sa fuite, alors qu'on voulait la marier sans lui demander son avis. À l'époque, cela se faisait encore, mais, c'était sans compter sur sa forte personnalité. Elle m'a expliqué le départ de sa maison natale avec dans son petit sac, ses mouchoirs brodés...Elle aspirait à autre chose que le travail à la ferme. Elle ne m'a rien caché de son passé et je sais aussi qui est mon père, depuis longtemps. Il s'appelle Paul. Ma mère avait été placée dans une famille bourgeoise. Le fils de la maison, Paul, et ma mère, se sont épris l'un de l'autre et après quelques mois d'un amour fou, le ventre de ma mère a commencé à s'arrondir. Un conseil de famille a décidé qu'une chambre de bonne, appartenant à la famille, dans un autre quartier, lui serait gracieusement prêtée. Ils ont aussi alloué une petite rente à ma mère, pendant quelques années, en échange du secret. Mes parents se sont soumis à cette décision, de même que mon père a accepté que son mariage avec une femme de son milieu soit arrangé. Le temps a fait le reste...

Ma mère se tient près de Juliette, sa petite sœur, avec laquelle elle a eu un rapport très particulier, quand elle est née. Elle est venue elle aussi. Je l'ai reconnue tout de suite. Un jeune homme élancé se tient à son bras. Il me rappelle quelqu'un, mais je ne réussis pas à retrouver qui. Juliette est là, élégante, mais lointaine.

Ma mère m'a beaucoup parlé de mon père, Paul. Je ne lui ai pas avoué qu'à l'adolescence, j'ai cherché à le rencontrer. Tout d'abord, je l'ai approché de loin, sans me découvrir, et petit à petit, j'ai fini par faire sa connaissance. Je pense que ma mère, avec la perspicacité qui l'anime, s'en doute. Quand il a perdu sa femme, je me suis dévoilée. Comme il n'avait pas d'enfant, il m'a ouvert en grand sa porte. Je disais à maman que j'allais voir des copines, que je révisais mes cours, que je préparais mes examens. Un lien ténu s'est tissé avec mon père. Nous avons rattrapé une partie du temps perdu. Il m'a fait connaître toutes sortes de gens, cultivés ou non, riches ou non, mais tous aussi passionnants les uns que les autres. Il m'a ouvert des portes auxquelles je n'aurais même pas osé frapper. Il m'a fait visiter des expositions aussi intéressantes que différentes et originales. Nous avons même fait quelques voyages ensemble. Je me sens maintenant entière, entre ma mère et mon père. Il est si fier de moi, qu'il a organisé une rencontre avec ses parents, mes grands-parents paternels. J'étais émue et impressionnée, mais ils ont été très chaleureux et la glace a vite fondu. Je n'ai même pas ressenti de gêne. Je suis leur seule petite - fille. Je suis un mélange inattendu, de ces deux familles tellement dissemblables ! J'ai, paraît-il un caractère trempé. J'ai hâte d'être présentée à ma famille maternelle. Vais-je réussir à tricoter quelques liens ? Ma mère m'a prévenue que certains d'entre eux étaient taciturnes. Elle me dit aussi que je suis un vrai caméléon. Je suis capable de me fondre dans tous les milieux, chez les sans-abris comme chez Coco Chanel, les milieux artistiques ou littéraires, comme les familles défavorisées, dans lesquelles j'ai pu faire des stages très enrichissants. Je le dois sans doute à mes deux branches, et surtout à ma mère et à la vie qu'elle a décidé de mener. Je l'imagine le jour où elle est partie, à seize ans, avec son petit sac. Quelle force détenait-elle! Et quel parcours depuis! Je l'admire beaucoup. Quel beau destin de femme!


La cérémonie des condoléances se termine. Joseph a été installé dans sa dernière demeure. Les voisins font leurs adieux à Jo et saluent la famille. Ne restent maintenant que les proches. Je reconnais François, le plus vieux des enfants, celui qui avait repris la ferme. Je n'aperçois pas Bertrand. C'est peut-être lui que j'ai vu se recueillir devant la dépouille de Jo, isolé dans ses pensées.


Ici, après les obsèques, la famille organise une collation. Quelquefois mal perçue, elle a pour fonction de ne pas laisser une personne seule trop vite après la cérémonie. Elle sert aussi à rassembler les familles qui ne se sont pas rencontrées depuis longtemps. Une parenthèse pour prendre des nouvelles des uns et des autres, de manière plus conviviale, avant de poursuivre son chemin. On y évoque souvent le parcours du défunt. Quelquefois des sourires, voire même des rires fusent. La vie reprend vite ses droits. On y sert un peu de vin ou de cidre, du café et des petits gâteaux. C'est la tradition. On se promet de se revoir en d'autres circonstances. Paroles souvent vaines, mais pas toujours.


C'est maintenant que ma mère a décidé que je devais entrer en scène.


J'ai évolué, avec ma mère, dans le monde de Coco Chanel. J'en garde de très bons souvenirs. J'ai appris à broder. J'étais même une excellente arpette. J'ai préparé, pour les femmes de la famille des petits présents et particulièrement pour ma grand-mère j'ai réalisé une broderie très fine, faite de fils dorés, de perles et de dentelles.


Dans ma tête, je remercie Madame Chanel qui m'a beaucoup apporté. Elle voulait que je continue dans ce milieu, moi qui avais un don, disait-elle, pour ce travail. Mais je désirais devenir psychothérapeute. J'ai continué brillamment mes études et mon métier me plaît énormément. Je panse les plaies, j’aide à cicatriser des souffrances et à retisser des liens. Finalement, c'est une autre sorte de broderies des liens humains !


« Je vous présente ma fille Jeanne », dit ma mère à toute l'assemblée.


Tous les regards se tournent alors dans ma direction. Dans ma robe grise très à la mode Chanel, je me dirige vers ma grand-mère, en premier. Lorsqu'elle ouvre son paquet, elle me regarde intensément et, dans ses yeux, je lis de l'émotion, de la surprise, de la fierté, de la tristesse aussi et bien d'autres choses encore.


La toute petite dame qui se tient à côté d'elle, serait-ce Yvonne, la bonne ?


Aujourd'hui, je tisse des liens familiaux.


Au mois de mai, Yoyo et Ty Yann doivent venir à la capitale voir la Tour Eiffel. Mes deux garçons sont impatients de les rencontrer, car ils ont le même âge. Nous mangerons avec Gaspard qui passe quelques jours à Paris pour son travail. Il viendra peut-être avec Juliette...

Marie-Laurence

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