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Photo du rédacteurSecrétaire AVF

A la santé de Jo - 8

Marcel

Je suis le deuxième fils. Je n’ai jamais été bien costaud, petit et maigrichon malgré mon métier.


Mon visage est buriné par mes longs séjours en mer. J’ai pris les yeux bleu glacial du père.


C’est un ami qui m’a amené à la ferme pour la cérémonie, avec sa deux-chevaux. Il avait pas grand-chose à faire, j’ai payé l’essence. La gare n’est pas à côté et je ne voulais pas demander à mes sœurs de venir me chercher. J’aime pas leur être redevable ! Surtout pas la Louise, elle peut faire la fière avec ses sous, mais son argent j’en voudrais pas ! Elle a beaucoup trop d’amis qui ont fait fortune sous Pétain ! Le copain, il est reparti. Je ne sais pas combien de temps je vais devoir rester ici. Il faut régler les affaires.


J’avais pas grand-chose de chic à me mettre pour l’enterrement, un ami m’a prêté une veste et j’ai pris une cravate au père, la deuxième. Il n’en aurait plus besoin. Pauvre ! Il en avait deux, l’autre c’était celle de son mariage, on la lui a mise pour faire le mort. C’est pas lui qui me fera des histoires maintenant !


J’ai ciré mes chaussures longtemps pour faire croire qu’elles étaient neuves. Elles étaient bien craquelées au bord, pas par l’usure, mais à cause de la chaleur et l’humidité dans le placard. Je les garderai pour quand la mère passera.


Je ne quitte jamais ma casquette de marin. Je l’ai tapée sur ma cuisse et frottée pour enlever la poussière.


On me dit pas très futé, mais j’ai jamais rien demandé à personne et maintenant ma retraite de cuisinier dans la marine me suffit à vivre.


Je ne pense pas que le vieux m’ait beaucoup aimé. J’étais trop maigre pour un enfant de la campagne. Les parents ont vite fait un autre garçon, parfait celui-là fort, bien rond, goulu, Serge, je n’avais que deux ans et déjà on me le comparait. Mais Serge est mort et c’était pire pour moi. Serge aurait terminé la soupe, Serge aurait su se faire obéir des vaches, Serge n’aurait pas été manchot pour le travail des champs.


Moi, j’avais peur de ne pas plaire et je faisais tout à l’envers. La seule qui avait de l’affection pour moi c’était l'Yvonne, la bonne. Petit, je traînais dans ses jupes, je m’accrochais à son tablier, elle me berçait quand je pleurais et la mère elle aimait pas ça. Yvonne et moi on ne s’est jamais perdu de vue, on s’envoyait une carte postale de temps en temps pour donner des nouvelles. Je choisissais des beaux paysages pour la faire voyager…


François mon frère aîné, lui, était parfait, il était comme le père. Ensuite les parents ont essayé de faire un autre Serge, mais ce sont les filles qui sont arrivées !


Alors je suis parti, le plus loin possible engagé dans la Marine nationale. Ils m’ont mis aux cuisines, ils ne me voulaient pas aux manœuvres. C’était pas facile, car les marins déversent habituellement leurs colères, ennuis et fatigues sur la tambouille du cuisinier. Comme j'étais gentil et discret, on ne me cherchait pas de noises.


J’avais le pied marin.


En 1941, j’ai travaillé sur le croiseur « Georges-Leygues » sur lequel l’or de la banque de France a été transporté à Casablanca, puis sur le « Richelieu » un cuirassé. On a fait l’océan indien et le Pacifique. Moi, Pétain ou De Gaulle, ça m’était bien égal. Je faisais ce que l’on me demandait en évitant de me faire trouer la peau. Faire cuire des légumes y ajouter un peu de viande ça me convenait. Les pauvr' gars n’étaient pas bien difficiles !


Après la guerre j’ai encore fait cuistot sur des cargos dans la marine marchande. J’ai eu une femme, une très belle femme. C’était la sœur d’un copain. Au début j’étais amoureux ! J’avais vingt - neuf ans. On s’est marié très vite. On a eu une fille et ma femme est partie quelques années après. Il faut dire que je n’étais pas souvent là, et pas facile à vivre quand je rentrais à la maison. Ma fille est avocate, j’ai pas trop de relations avec elle. Je pense qu’elle a honte de moi.


Ma fille? Enfin, manière de parler !


Avec sa mère, pour ce qui est de l’intimité, ça n’a pas bien marché entre nous. Je préfère les filles que l’on paye, elles ne font pas d’histoires au lit, les filles des ports.


Quand elle est partie, ma femme m’a laissé l’appartement en région parisienne, celui que j’habite en ce moment.


Maintenant que Jo est mort, j’ai des projets sur la ferme. La mère, elle est fatiguée, on la mettra dans une petite maison de retraite et on vendra toute la ferme et les terrains à un promoteur pour faire un immense centre de loisirs. Ma fille est avocate. Elle va tout organiser.


Quand je suis rentré dans l’église pour accompagner le vieux, on m’a demandé d’enlever ma casquette. Je suis parti. Les histoires de curé m’agacent. Je me suis installé à la terrasse du café, face à l’église, avec un ballon de rouge et le chien Rufus.


Les gamins sont déjà sortis de l’église, je les comprends, c’est pas un endroit rigolo. Je les rejoins avec Rufus sur mes talons.


Voilà la cérémonie est finie, les «riches» sortent les premiers, ma sœur Juliette en tête avec un beau gars à son bras. Vu l’âge il doit être son fils.


Betty

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